Un spectre hante le capitalisme international - le spectre de la libre information. Toutes les puissances de la "globalisation" ont conclu une alliance bien peu sacrée afin de l'exorciser : Microsoft et Disney, l'Organisation Mondiale du Commerce, le Congrès des Etats-Unis et la Commission Européenne.
Quel défenseur de la liberté dans la nouvelle société numérique n'a jamais été vilipendé comme pirate, anarchiste ou communiste ? N'a-t-on pas vu que nombre de ceux qui lancent ces épithètes sont de simples voleurs en puissance, dont le discours de "propriété intellectuelle" n'est qu'une tentative de préserver des privilèges injustifiables dans une société dont l'évolution est inexorable ? En tout état de cause, tous les Pouvoirs de la Globalisation admettent que le mouvement libertaire est de fait un pouvoir, et il est grand temps que nous affichions nos vues à la face du monde, pour enluminer d'un Manifeste de notre cru le conte enfantin du Spectre de la Libre Information.
A travers le monde, le mouvement pour la libre information annonce l'avènement d'un nouvel ordre social, né de la transformation de la société industrielle bourgeoise par la technologie numérique qu'elle a elle-même engendrée.
L'histoire de toutes les sociétés ayant existé jusqu'ici révèle une histoire de lutte des classes.
Homme libre et esclave, patricien et plébéien, seigneur et serf, maître artisan et compagnon, bourgeois et prolétaire, colon et colonisé, en un mot, oppresseur et opprimé, sont demeurés en constante opposition et ont mené un combat ininterrompu, tantôt dans l'ombre, tantôt en pleine lumière, qui a souvent entraîné soit une reconstitution révolutionnaire de la société dans son ensemble, soit la ruine commune des protagonistes.
La société industrielle qui a germé sur l'expansion mondiale de la puissance Européenne, conduisant à la modernité, n'a pas éliminé les antagonismes de classes. Elle n'a fait qu'établir de nouvelles classes, de nouvelles conditions ou formes d'oppression et de lutte en lieu et place des anciennes. Toutefois, l'ère de la bourgeoisie a simplifié les antagonismes de classes. Globalement, la société semblait divisée en deux camps hostiles, deux vastes classes se faisant face : la Bourgeoisie et le Prolétariat.
Mais la révolution ne s'est pas produite à l'échelle globale, et la "dictature du prolétariat", là où elle est apparue ou a prétendu apparaître, s'est avérée incapable d'établir la liberté. A contrario, la technologie a permis au capitalisme de s'imposer comme un consensus nécessaire. Le travailleur moderne des sociétés avancées s'est élevé à mesure des progrès de l'industrie, plus qu'il ne s'est enfoncé dans une condition inférieure à celle de sa propre classe. La pauvreté ne s'est pas développée plus vite que la population et la richesse. L'industrie rationnelle de type Fordien n'a pas transformé les travailleurs en prolétariat appauvri, mais en consommateurs de masse de la production de masse. Et civiliser le prolétariat fait maintenant partie de la stratégie auto-protectrice de la bourgeoisie.
Dans le même sens, l'éducation universelle et le refus de l'exploitation industrielle des enfants, issus du programme tant décrié de la révolution prolétarienne, devinrent une norme de la morale sociale bourgeoise. Avec l'éducation universelle, les travailleurs eurent accès aux média qui pouvaient les pousser à consommer toujours plus. Le développement du son enregistré, de la téléphonie, du cinéma, de la diffusion radiophonique et télévisée changea la relation du travailleur à la culture bourgeoise, au moins autant qu'il changea la culture elle-même.
La musique, par exemple, fut durant une grande partie de notre histoire un non-objet hautement périssable, un processus social se produisant à un endroit et un instant donnés, consommé sur place par un mélange de gens qui en étaient à divers degrés les consommateurs et les producteurs. Après l'avènement de l'enregistrement, la musique devint un objet non périssable qui pouvait être transporté sur de longues distances, et ceux qui la produisaient furent inéluctablement spoliés. La musique devint, en tant que bien de consommation, un moyen pour ses nouveaux "propriétaires" de susciter toujours plus de consommation, de créer des demandes de la part de la nouvelle classe de consommateurs de masse, et d'orienter ces demandes dans un sens profitable au système de propriété. De même avec le nouveau médium que constituèrent les images animées, qui pendant des décennies agirent sur la nature de la cognition humaine, en captant une fraction substantielle du temps quotidien de chaque travailleur pour lui transmettre des messages l'incitant à plus de consommation. Des dizaines de milliers de telles publicités passèrent, chaque année, devant les yeux de chaque enfant, réduisant à une nouvelle forme de servitude ceux-là même qu'on avait affranchis d'actionner les machines de la production : ils étaient maintenant enrôlés de force pour actionner les machines de la consommation.
Ainsi les conditions d'accès à la société bourgeoise furent rendues moins étroites, plus à-même d'englober la richesse qu'elle avaient créée. Ainsi fut traitée l'absurde épidémie de surproduction récurrente. Et il n'y eut soudain plus d'excédent de civilisation, de moyens de subsistance, d'industrie ou de commerce.
Mais la bourgeoisie ne peut exister sans constamment révolutionner les instruments de production, et de ce fait les rapports à la production, et à leur suite les rapports sociaux dans leur ensemble. La production en constante révolution, le dérangement initerrompu de tous les liens sociaux, l'incertitude et l'agitation permanentes distinguent l'ère bourgeoise des précédentes. Tous les repères fixes ou rapidement entérinés comme tels, avec leur lot de préjudices consentis et d'opinions antiques et vénérables, ont été balayés, et ceux qui tendent à se former deviennent caducs avant même de s'être ossifiés. Tout ce qui est solide se fond dans l'air.
Avec l'adoption de la technologie numérique, le système de la production de masse soutenue par une culture de consommation de masse a donné naissance à de nouvelles conditions sociales, où se cristallise une nouvelle structure d'antagonisme de classes.
La bourgeoisie, grâce à l'amélioration rapide de tous les instruments de production et aux moyens de communication immenséments facilités, entraîne toutes les nations, même les plus barbares, vers la civilisation. Les prix bas de ses biens et services sont l'artillerie lourde avec laquelle elle abat toutes les murailles de Chine, et force à la capitulation la haine obstinée et intense que les barbares éprouvent vis-à-vis de l'étranger. Elle contraint les nations, sous peine d'extinction, à adopter sa culture et ses principes de propriété intellectuelle ; elle les contraint à introduire ce qu'elle nomme civilisation en leur coeur, pour qu'elles deviennent elles mêmes bourgeoises. En un mot, elle crée un monde à son image. Mais les instruments même de sa communication et de sa manipulation culturelle constituent les moyens de résistance que l'on peut retourner contre elle.
La technologie numérique transforme l'économie bourgeoise. Les biens dominants dans le système de production (les articles culturels qui sont à la fois des objets commercialisés et des instructions pour le travailleur sur ce qu'il doit acheter et comment), ainsi que les autres formes de culture et de savoir, ont maintenant un coût marginal nul. N'importe qui peut bénéficier de n'importe quel travail culturel : musique, art, littérature, information technique, science, ou toute autre forme de connaissance. Les barrières de l'inégalité sociale et de l'isolement géographique se sont dissoutes. A la place des anciens isolement et auto-suffisance locaux et nationaux, il y a des liens dans toutes les directions, une interdépendance universelle entre les gens, non seulement au niveau matériel, mais aussi au niveau de la production intellectuelle. Les créations intellectuelles des individus deviennent propriété commune. La société bourgeoise moderne avec ses relations de production, d'échange et de propriété, société qui a su orchestrer d'aussi gigantesques moyens de production et d'échange, est comme l'apprenti sorcier incapable de contrôler les pouvoirs du monde occulte qu'il a lui-même convoqué par ses sortilèges.
Suite à cette évolution, l'homme est contraint de considérer avec lucidité ses véritables conditions de vie, et ses relations à sa propre espèce. La société nous confronte au simple fait que, lorsque toute réalisation intellectuelle qui soit belle ou utile peut être la propriété de tous au même coût que si elle était propriété d'un seul (chacun récoltant alors toute la valeur humaine de chaque augmentation de la connaissance), il n'est plus moral d'exclure. Que Rome eût le pouvoir de nourrir tout le monde largement sans qu'il ne lui coûte plus que de nourrir César, et un seul homme souffrant de famine eût justifié que César fût renversé. Mais le système bourgeois de propriété exige que la culture et la connaissance soient rationnés selon la capacité de payer. Les modèles traditionnels et alternatifs, rendus de nouveaux viables par les technologies d'interconnexion, ceci incluant les associations volontaires de ceux qui créent et ceux qui les soutiennent, doivent être contraints à une compétition inégale avec les écrasants systèmes propriétaires de communication de masse. Ces systèmes sont à leur tour basés sur l'appropriation des droits communs des peuples à disposer du spectre électromagnétique. Dans toute la société numérique, la classe des travailleurs de la connaissance (artistes, musiciens, écrivains, étudiants, spécialistes en technologie, etc..., qui essaient d'améliorer leurs conditions de vie en copiant et modifiant de l'information) est radicalisée par le conflit entre ce qu'elle sait possible et ce que l'idéologie bourgeoise la contraint à accepter. De cette discordance émerge la conscience d'une nouvelle classe, qui en prenant conscience d'elle-même amorce la chute de la propriété.
L'avance de la société numérique, dont la bourgeoisie est l'involontaire promoteur, remplace l'isolement des créateurs, dû à la concurrence, par leur combinaison révolutionnaire, due à l'association. Les créateurs de connaissance, de technologie et de culture découvrent qu'ils n'ont plus besoin de la structure de production basée sur la propriété ni de la structure de distribution basée sur la contrainte du paiement. L'association, et son modèle anarchique de production sans propriété, rend possible la création de logiciel libre, par lequel les créateurs renforcent leur contrôle de la technologie servant à son tour à produire.[1] Le réseau lui-même, libéré du contrôle des diffuseurs et autres propriétaires de bande passante, devient le locus d'un nouveau système de distribution, basé sur l'association entre homologues sans contrôle hiérarchique, qui remplace le système contraignant de distribution de la musique, de la vidéo, et autres biens immatériels. Les universités, les bibliothèques, et les institutions qui leur sont liées deviennent des alliés de la nouvelle classe, interprétant leur rôle historique de distributeurs du savoir comme obligation de fournir un accès toujours plus complet au savoir pour tous, librement. Libérer l'information du contrôle de la propriété libère le travailleur de son rôle imposé de gardien de la machine. La libre information permet au travailleur d'investir son temps, non dans la consommation induite par la culture bourgeoise, avec ses invites toujours plus pressantes à la consommation stérile, mais plutôt dans la culture de son esprit et de ses compétences. A mesure qu'il prend conscience de son pouvoir de création, il cesse d'être un participant passif des systèmes de production et de consommation dans lesquels la société bourgeoise l'avait piégé.
Mais la bourgeoisie, partout où elle a la haute main, a mis fin à toutes les relations féodales, patriarcales, idylliques. Elle a impitoyablement déchiré les liens féodaux hétéroclites qui reliaient l'homme à ses "suzerains naturels", et n'a laissé entre l'homme et l'homme d'autre connexion que l'intérêt à l'état pur, que le "paiement cash" inhumain. Elle a noyé les extases les plus sacrées de la ferveur religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, du sentimentalisme philistin, dans les eaux glacées du calcul égotiste. Elle a réduit les valeurs personnelles à des valeurs marchandes. Et en lieu et place des innombrables gradations des libertés admises, elle a mis en place cette unique, inconcevable liberté : le Libre-Echange. En un mot, l'exploitation voilée d'illusions religieuses et politiques a été remplacée par l'exploitation pure, directe, brutale et dénuée de scrupules.
Face à la profonde libération à venir des classes de travailleurs, dont le pouvoir d'accès au savoir et à l'information transcende désormais l'ancien rôle étroit de consommateurs de culture de masse, le système bourgeois de propriété se trouve nécessairement poussé dans ses ultimes retranchements. Avec son instrument favori, le libre-échange, il tente de provoquer la profonde crise de surproduction qu'il craignait auparavant. Désespérant d'enfermer les créateurs dans leur rôle de consommateurs salariés, la propriété bourgeoise tente de transformer la pauvreté matérielle dans certaines régions du globe en source de biens bon marché avec lesquels ramener à la passivité culturelle non pas les barbares, mais ses propres possessions les plus chères - les travailleurs technologiques des sociétés les plus avancées.
A cet instant, travailleurs et créateurs forment encore une masse incohérente dispersée dans le monde entier, et demeurent divisés par leur mutuelle concurrence. Parfois les créateurs sont victorieux, mais provisoirement. Le véritable fruit de leur combat n'est pas son résultat immédiat, mais l'union qui s'étend sans cesse. Cette union est facilitée par les moyens de communication évolués créés par l'industrie moderne et qui placent travailleurs et créateurs provenant d'endroits divers en contact mutuel. C'était ce simple contact qui manquait pour centraliser les nombreuses luttes locales, toutes du même type, en une lutte globale entre classes. Mais toute lutte de classes est une lutte politique. Et cette union, que les bâtisseurs du moyen-âge auraient mis des siècles à réaliser avec leurs misérables voies de communication, les modernes travailleurs de la connaissance peuvent la réaliser en quelques années.
La bourgeoisie ne s'est pas contentée de forger les armes qui lui amènent la mort ; elle a aussi
fait venir au monde les hommes chargés de servir ces armes, la classe des travailleurs du
numérique : les créateurs.
Pétris des compétences et des savoirs créateurs de valeur sociale et marchande, réfractaires au
fait d'être réduits à l'état de commodités, capables de produire collectivement toutes les
technologies de la liberté, de tels travailleurs ne peuvent être réduits à de simples appendices de
la machine. Là où autrefois l'ignorance associée à l'isolement géographique liaient
indistinctement le prolétaire à l'armée industrielle dont il était un soldat transparent et corvéable,
les créateurs qui contrôlent collectivement le réseau des communications humaines préservent
leur individualité, et proposent la valeur engendrée par leur labeur intellectuel par divers moyens
bien plus favorables à leur bien-être et à leur liberté que tout ce que le système de propriété
bourgeoise leur avait jamais concédé.
Mais en proportion égale au succès des créateurs à établir la véritable économie libre, la bourgeoisie doit renforcer la structure de production et distribution par la contrainte que dissimule sa préférence supposée pour les "marchés libres" et le "libre échange". Bien que fermement décidée à défendre par la force des accords s'appuyant sur la force, quoique masquée, la bourgeoisie essaie d'abord de réimposer la contrainte par l'entremise de son instrument favori d'asservissement, les institutions de sa loi. Comme l'ancien régime en France, qui croyait que la propriété féodale pouvait être maintenue par la force conservatrice de la loi en dépit de la modernisation de la société, les possédants dans la culture bourgeoise attendent de leurs lois de propriété qu'elles constituent un rempart magique contre les forces qu'elles ont elles-mêmes libérées.
A un certain point du développement des moyens de production et d'échange, les conditions de la production et des échanges dans la société féodale, l'organisation féodale de l'agriculture et de l'industrie manufacturière, en un mot, les relations de propriété féodales devinrent incompatibles avec l'état de développement des forces productives; elles devinrent autant de chaînes. Elles devaient être mises en pièces, elles le furent.
A leur place s'installa la libre concurrence, accompagnée d'une constitution sociale et politique adaptée, et de l'influence sociale et politique de la classe bourgeoise. Mais la " libre concurrence " ne fut jamais qu'une aspiration de la société bourgeoise, qui privilégia constamment la préférence capitaliste pour le monopole. La propriété bourgeoise érigea en exemple le concept de monopole, abaissant au niveau d'arrangements de circonstance le dogme de liberté effrontément proclamé par la loi bourgeoise. Comme, dans la nouvelle société numérique, les créateurs établissent de véritables formes de libre activité économique, le dogme de la propriété bourgeoise entre en conflit ouvert avec le dogme de la liberté bourgeoise. Protéger la propriété des idées nécessite de supprimer la libre technologie, donc la liberté d'expression. La puissance des Etats est employée à interdire la libre création. Scientifiques, artistes, ingénieurs et étudiants se trouvent empêchés de créer ou de partager du savoir, sur la base du fait que leurs idées mettent en péril la propriété des possesseurs du système de production et de distribution culturelle. C'est dans les tribunaux des possédants que les créateurs rencontrent le plus clairement leur identité de classe, et c'est logiquement là que le conflit commence.
Mais les lois de la propriété bourgeoise ne sont pas des amulettes magiques contre les conséquences de la technologie bourgeoise : le balai de l'apprenti sorcier peut continuer d'éponger, l'eau continue de monter. C'est dans le domaine de la technologie que la défaite de la propriété s'accomplit finalement, là où les modes de production et de distribution font tomber les chaînes de la loi démodée.
Toutes les précédentes classes ayant eu la haute main sur la société ont cherché à fortifier leur statut acquis en soumettant la société au sens large à leurs conditions d'appropriation. Les travailleurs du savoir ne peuvent se rendre maîtres des forces productives de la société, sauf à abolir leurs propres modes d'appropriation actuels, et par conséquent tout autre mode plus ancien d'appropriation. Il leur appartient de choisir le dévouement révolutionnaire à la liberté, à l'abolition de la propriété des idées, à la libre circulation du savoir, à la restauration de la culture comme fondement symbolique que partagent tous les êtres humains.
Aux propriétaires de la culture, nous disons : vous êtes horrifiés par notre intention de nous débarrasser de la propriété privée appliquée aux idées. Mais dans votre société, les neuf dixièmes de la population sont déjà débarrassés de la propriété privée. Leurs employeurs s'approprient immédiatement ce qu'ils créent, revendiquant le fruit de leur intelligence au nom du droit des brevets, du copyright, du secret commercial et d'autres formes de "propriété intellectuelle". Leur droit naturel dans le spectre électromagnétique, qui peut permettre à toute personne de communiquer et d'apprendre des autres, librement, presque sans limites de capacité et à un coût nominal, leur a été enlevé par la bourgeoisie, et leur est restitué au prix fort sous forme de biens de consommation (culture audiovisuelle et services de télécommunication). Leur créativité ne trouve pas d'issue : leur musique, leur art, leur tradition orale sont noyés dans les articles de la culture capitaliste, amplifiée par toute la puissance de cet oligopole qu'est la "télédiffusion", face à laquelle ils sont censés demeurer passifs et consommer plutôt que créer. En un mot, la propriété que vous revendiquez procède du vol : son existence pour un petit nombre est uniquement due à sa non-existence pour tous les autres. Vous nous reprochez, donc, d'essayer de nous débarrasser d'une forme de propriété qui ne peut exister qu'à condition d'être hors de portée d'une immense majorité de la société.
D'aucuns ont objecté qu'en l'absence de propriété privée des idées et de la culture tout travail créatif cesserait, par manque d' "incitation" ou de motivation, et que nous serions saisis d'une paresse universelle.
De ce point de vue, il n'y aurait dû avoir ni musique, ni art, ni technologie, ni apprentissage avant l'avènement de la bourgeoisie, qui seule élabora le concept de placer l'ensemble de la culture et du savoir sous l'emprise du cash. Confronté à l'éventualité d'une production et d'une distribution libre, avec le logiciel libre et le développement de technologies de libre distribution qui en découle, cet argument contredit simplement des faits visibles et incontestables. Les faits sont occultés au profit du dogme selon lequel l'ordre des choses qui a brièvement caractérisé la production intellectuelle et la distribution culturelle durant la courte apogée de la bourgeoisie serait le seul ordre possible, et ce malgré l'évidence tant passée que présente.
Ainsi, nous disons aux possédants : cette méprise qui consiste à considérer les structures sociales qui naissent de votre mode présent de production et de propriété (ces relations historiques qui naissent et meurent au fil des progrès de la production) comme lois éternelles de la nature et de la raison, cette méprise donc, vous l'avez en commun avec toutes les classes dirigeantes qui vous ont précédés. Ce que vous percevez clairement concernant la propriété antique, ce que vous admettez concernant la propriété féodale, vous refusez évidemment de l'admettre concernant votre propre forme de propriété bourgeoise.
Nos conclusions théoriques ne sont aucunement basées sur des idées ou principes inventés ou découverts par tel ou tel pseudo-réformateur universel. Elles expriment simplement, en termes généraux, les relations réelles qui jaillissent d'une lutte des classes actuelle, d'un mouvement historique qui se déroule sous nos propres yeux.
Lorsque les gens parlent d'idées qui révolutionnent la société, ils ne font qu'exprimer le fait qu'au sein de l'ancienne société, les éléments d'une société nouvelle ont été créés, et que la dissolution des anciennes idées va de pair avec le dissolution des anciennes conditions d'existence.
Nous, créateurs de la société de la libre information, prétendons arracher graduellement à la bourgeoisie le patrimoine commun de l'humanité. Nous aspirons à la restitution de l'héritage culturel qui nous a été volé au gré de la "propriété intellectuelle", au même titre que l'ont été les moyens électromagnétiques de transmission. Nous sommes engagés dans la lutte pour la libre expression, le libre savoir, et la libre technologie. Les moyens par lesquels nous mènerons ce combat seront bien entendu différents dans les différents pays, mais les règles suivantes seront assez généralement applicables :
Par ces moyens, entre autres, nous nous engageons dans la révolution qui libère l'esprit humain. En rejetant le système de propriété privée appliquée aux idées, nous jetons les bases d'une société réellement juste, dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous.